Qu'est-ce que le harcèlement fusionnel ?
Harcèlement fusionnel
Le harcèlement fusionnel est un concept introduit
en 2018 par le psychologue clinicien et psychothérapeute français Eudes Séméria[1].
Il se définit comme « un ensemble de
comportements répétés d’agrippement, d’accaparement et de dépendance, par
lesquels un adulte force une autre personne à le prendre en charge dans
plusieurs domaines de la vie pratique et psychique »[2].
Le harcèlement fusionnel est une conséquence de la dépendance affective, trouble touchant les personnes excessivement
préoccupées par l’angoisse de
séparation et l’angoisse
d’abandon. Toute personne dépendance affective, du fait même de ses
demandes répétées d’aide, de soutien et d’accompagnement, peut devenir porteuse
d’un harcèlement fusionnel qui aboutit à l’usure et à la dégradation de la santé
psychologique et physique de son entourage.
Il est à noter que le harcèlement fusionnel
se distingue nettement des autres formes de harcèlement connues, telles que le harcèlement moral ou le harcèlement sexuel, car il s’opère
du « faible » (la personne vulnérable) sur le « fort » (la
personne qui l’aide).
Sommaire
1 Les spécificités du harcèlement fusionnel
1.1 Un
harcèlement retourné contre soi
1.2 Un
phénomène collectif
1.3 Dépendance
affective et personnalité fusionnelle
2 Les processus du harcèlement fusionnel
3 Les conséquences du harcèlement sur
l’entourage
4 Les thérapies et les ressources
Articles connexes
Liens externes
Notes et références
1. Les spécificités du harcèlement fusionnel
1.1 Un harcèlement retourné contre soi
Dans son acception générale, tout harcèlement
est « un enchaînement d’agissements
hostiles à répétition visant à affaiblir psychologiquement l’individu qui en
est la victime. »[3]
Pourtant, comme l’écrit Eudes Séméria « l’adulte affectivement dépendant n’a rien d’un "pervers narcissique" qui
chercherait à dominer ou à détruire autrui, comme dans le harcèlement moral. Au
contraire, il a tendance à se dévaloriser et à se rabaisser, à accorder
systématiquement aux autres des qualités propres à les grandir et à les placer
très au-dessus de sa personne. Il demande même à être dominé, déresponsabilisé,
infantilisé (…) »[4]
Il y a ainsi une hostilité avérée dans le harcèlement fusionnel, mais il
s’agit d’une hostilité que l’adulte en dépendance affective « retourne contre lui-même, ainsi qu’en témoignent
ses comportements systématiques de dévalorisation, de sabotage ou
d’autodestruction. Aussi atteint-il ses proches, indirectement, en forçant leur
mobilisation et en suscitant chez eux une anxiété permanente. »[5]
1.2 Un phénomène de codépendance
Il faut toutefois souligner que le harcèlement fusionnel relève toujours
d’un fonctionnement collectif, du moins lorsque la situation de harcèlement s’avère
durable. En effet, le harcèlement n’émerge pas de la volonté d’une personne
particulière mais du fonctionnement familial ou de couple, et dans lequel
chacun prend une part active. La réalité est donc plus complexe qu’elle n’y
paraît car toutes les personnes impliquées participent, à un degré ou un autre,
au maintien d’une relation de codépendance affective. De sorte qu’il n’y a pas
d’un côté un « harceleur » et de l’autre des « victimes »,
mais plutôt des personnes étroitement liées et mutuellement dépendantes qui,
toutes ensemble, et de manière implicite, constituent un système harcelant.
1.3 Dépendance affective et personnalité fusionnelle
La dépendance affective est un trouble décrit par les principales classifications internationales des
troubles mentaux (CIM 10, DSM-V) qui le rapprochent du trouble de la personnalité dépendante,
du trouble état-limite, et de
l’immaturité psycho-affective.
Ces classifications, avant tout descriptives et statistiques, évoquent des
facteurs favorisant l’apparition de ce trouble, tels que des séparations
traumatiques précoces, une ambiance de récompenses sournoises ayant consisté à
sanctionné l’enfant lorsqu’il recherchait son autonomie. On s’accorde à penser
que « l’attitude phobique des
parents, la surveillance constante des enfants, surprotégés et couvés, bridés
dans leur autonomie, font le lit d’une future attitude dépendante. »[6]
La psychologie existentielle
propose un point de vue complémentaire selon lequel la dépendance affective est
à mettre en rapport avec un profond refus du sujet de se vivre comme individu à
part entière. Cette attitude est qualifiée de « fusionnelle » par les
psychologues existentiels, en particulier Irvin Yalom. Selon ce psychiatre, l’angoisse face aux
grands enjeux de l’existence (tels que la mort, par exemple), entraîne « un sentiment terrifiant de vulnérabilité et de
solitude, sentiment que la personne tente d’apaiser en faisant marche arrière,
en renonçant à son individuation, en cherchant à fusionner, à se dissoudre, à
s’en remettre à un autre. »[7]
L’attitude fusionnelle relève d’une défense
psychique visant à atténuer ou dénier les angoisses existentielles (la
mort, la solitude, l’absence de sens, la responsabilité) – défense psychique
qui n’est pas problématique en soi mais peut le devenir si elle s’avère
systématique et rigide et n’alterne pas de manière équilibrée avec d’autres
défenses psychiques.
En accord avec les travaux d’autres thérapeutes existentiels (Rollo May[8],
Victor Frankl[9],
Fritz Perls[10],
Carl Rogers[11],
Irvin Yalom), Eudes Séméria suggère que la personne dépendante affective – et
plus généralement fusionnelle - se distingue schématiquement par les quatre
grandes tendances suivantes :
- Le refus de grandir (immaturité) : le sujet rejette les attitudes et l’apparence de l’adulte, conserve attitudes et habitudes héritées de l’enfance, montre des comportements impulsifs, obéit à l’autorité parentale même une fois adulte, ne sait pas dire non, a difficulté à supporter la frustration…
- Le refus de s’affirmer (effacement) : le sujet cherche activement la domination d’autrui, adopte des comportements de retrait, d’auto dévalorisation, souffre d’un sentiment de vide intérieur et d’ennui…
- Le refus d’agir (passivité) : le sujet a des difficultés à prendre des décisions et à passer à l’action, délègue ses responsabilités à autrui, tend à tout remettre à plus tard, souffre de rumination mentale, d’auto sabotage…
- Le refus de se séparer (dépendance) : le sujet souffre d’avidité affective, parfois de jalousie, se met systématiquement au service d’autrui, refuse la séparation, confond les sentiments d’amour et d’amitié, souffre d’une instabilité du désir et de l’orientation sexuelle…
2. Les processus du harcèlement fusionnel
La
dépendance affective, et le harcèlement qu’elle induit, s’expriment sous de
nombreuses formes : un fils
adulte qui manque de confiance en lui, une mère angoissée et possessive, un conjoint
jaloux ou intolérant à la séparation, un frère ou un ami continuellement en
situation d’échec social. Dans tous ces cas, la propension de la personne
dépendante affective à s’accrocher à ses proches s’appuie essentiellement sur
deux processus. D’une part, la loyauté
familiale[12],
qui amène les membres d’une famille ou d’un couple, à aider les autres et
parfois à se sacrifier en vertu d’une dette morale à leur égard ; d’autre
part, le phénomène de parentification[13],
« processus par lequel un enfant
se voit amené à assumer des
responsabilités trop importantes pour son âge, c’est-à-dire des responsabilités
qui devraient en principe être assumées par les parents ou les adultes. »[14]
Selon Eudes Séméria, ces deux principes (loyauté familiale et
parentification) sont présents dans toute situation de harcèlement fusionnel.
L’adulte dépendant affectif attend en effet que ses proches se
« sacrifient » pour lui et assument un statut d’équivalents parentaux[15]
en assumant ses responsabilités à sa place. Pour cela, il peut recourir à
divers procédés tels que la séduction, le mensonge, l’affabulation, la mise en
scène de sa vulnérabilité, l’appel à la pitié et à la peur, le chantage au
suicide, les agressions verbales et physiques.
3. Les conséquences du harcèlement sur l’entourage
Les conséquence du harcèlement fusionnel sur les proches qui apportent
leur aide (les « aidants ») sont sensiblement les mêmes que dans les
autres formes de harcèlement : anxiété, inquiétude permanente, sentiment
d’impuissance, découragement, épuisement, colère, dépression. S’ajoutent à
cette déstabilisation psychique des aidants divers troubles somatiques : troubles
digestifs, troubles cardio-vasculaires (hypertension, tachycardie,
palpitations), perturbation du sommeil, douleurs musculaires et articulaires,
maux de tête, fatigue générale. La vie familiale, professionnelle et sociale
peut être perturbée suivant l’intensité des demandes d’aide de la personne en
dépendance affective.
Ces symptômes et
conséquences peuvent être d’intensité variable, selon que le proche dépendant
affectif accède à une certaine autonomie, ou qu’au contraire il se retrouve, de
manière répétée en situation sociale inadaptée (perte d’emploi, perte de
logement, addictions, comportements à risques ou antisociaux, etc.).
4. Les thérapies et les ressources
Diverses formes de
psychothérapies peuvent apporter, à l’entourage ainsi qu’au au proche dépendant
affectif, un soutien et une amélioration : thérapie existentielle, thérapie
systémique familiale, thérapie
comportementale et cognitive (ou TCC).
En revanche, aucune
association n’est encore dédiée à la problématique spécifique du harcèlement
fusionnel. Il n’est ainsi pas rare que les personnes aux prises avec le
harcèlement fusionnel se retrouvent isolées. Elles peuvent néanmoins trouver un soutien précieux
auprès des associations d’aidants généralistes, telles que l’AFA (Association
Française des Aidants), qui proposent de multiples ressources : rencontres,
échanges, ateliers de formation, aide administrative, Café des Aidants.
Articles connexes
Le trouble de la personnalité dépendante
Le harcèlement
Le harcèlement moral
La psychothérapie existentielle
Liens externes
Site officiel de Eudes Séméria : www.eudes-semeria.fr
Site de Irvin Yalom : http://yalom.com/
Association Française des
Aidants
Café des Aidants (Association Française des Aidants)
Liens médias
RTL (1 février 2018)
Émission "On est fait pour s'entendre", présentée par Flavie Flament.
Comment se libérer de la dépendance affective d’un proche ?
Invités : Eudes Séméria, psychologue; Brigitte Allain-Dupré, psychologue

Notes et références
[1]
SÉMÉRIA, E. (2018), Le harcèlement fusionnel, les ressorts cachés de la
dépendance affective, Albin Michel, Paris.
[2]
SÉMÉRIA, E. (2018)
[4]
SÉMÉRIA, E. (2018).
[5]
SEMERIA, E. (2018).
[6]
DEBRAY; Q., GRANGER, B., AZAÏS, F. Psychopathologie
de l’adulte, Masson, Paris, 1998, 2001.
[8] Allport, G., Feifel, H., Maslow, A., May,
R., Rogers, C., (1971).
Psychologie existentielle, Epi, Paris.
[9]
FRANKL, V. (2009). Nos raisons de vivre.
A l’école du sens de la vie, Paris, InterEditions.
[10]
PERLS, F., GOODMAN, P., HEFFERLINE, R. (2001). Gestalt-thérapie, L’exprimerie, Bordeaux
[11] ROGERS, C., (2012), Être vraiment soi-même,
l’approche centrée sur la personne, Eyrolles.
[12]
Le concept de loyauté familiale a été introduit en psychologie par l'un des
pionniers de la thérapie familiale, le psychiatre Ivan Boszormenyi-Nagy,
créateur de la thérapie contextuelle (1973/1984).
[13]
Voir HAXHE, S. (2008). La parentification, étude d’un processus, Thérapie familiale,
2008/1 (Vol. 29), Médecine et Hygiène, p. 192
[14]
SEMERIA, E. (2018).
[15]
Personnes à qui le sujet attribue par rapport à lui-même une fonction
symbolique de parent (père ou mère).
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